Ce jour là ?… Chaque fois que je revis en pensée cet événement je ressens toujours la même chose. Toujours. Depuis le début, moment par moment. Comme si je ne croyais toujours pas qu’une chose pareille pouvait se produire. Que l’on a essayé de tuer le Pape, ce Pape, Jean-Paul II, au cœur-même de la chrétienté … .
La jeep terminait son deuxième tour de la place Saint-Pierre en s’approchant de la colonnade de droite, terminée par le Portail de bronze. Le Saint-Père s’est penché vers une fillette blonde que l’on essayait de lui présenter. Elle s’appelait Sara, elle avait à peine deux ans et elle tenait dans la main un petit ballon en couleur. Le Pape l’a prise dans ses bras et l’a soulevée, comme s’il voulait la présenter à tout le monde, il l’a embrassée et l’a remise à ses parents tout en souriant. Il était 17h19 – on l’a reconstitué seulement plus tard. Lorsqu’il faisait beau les audiences générales se tenaient sur la place dans l’après-midi, à l’instar de cette journée du 13 mai 1981. J’ai été émerveillé par l’image des mains des parents tendues vers leur petit trésor joufflu. Je n’ai même pas entendu le premier coup de feu. J’ai seulement aperçu des centaines de pigeons effrayés qui se sont soudainement envolés. Le deuxième coup de feu est tombé tout de suite après. Au moment-même où je l’ai entendu, le Saint-Père commençait à s’écrouler avec inertie sur le côté, directement dans mes bras. J’ai regardé instinctivement vers la direction d’où venaient les tirs, même si, à vrai dire, je l’ai vu seulement plus tard sur les photos et les vidéos. Un jeune homme aux traits foncés s’agitait dans la confusion. J’ai appris plus tard que c’était le terroriste turc, Mahmet Ali Agca. Quand je reviens dans mes pensées à cet événement, je crois que j’avais tourné mon regard sur cette confusion pour ne pas voir et pour ne pas accepter le terrible événement qui venait de se produire, et que « j’ai senti » dans mes bras. J’ai essayé de soutenir le Pape même s’il donnait l’impression de se rendre tout doucement. Il était serein malgré les marques de la douleur. J’ai demandé : « Où ? ». « Au ventre ». « Ça fait mal ? » « Oui ». La première balle, après avoir percé et blessé l’intestin grêle à plusieurs endroits, elle a dilacéré le ventre en le perçant, pour sortir et tomber à l’intérieur de la jeep. La deuxième balle qui a cassé l’index de la main gauche, en effleurant le coude droit, a blessé deux touristes américaines. Quelqu’un a crié de les emmener aux urgences mais l’ambulance se trouvait de l’autre côté de la place. La jeep a très vite franchi la Porte de Cloches d’Argent, a contourné l’abside de la Basilique et, en passant par le tunnel, est arrivée sur la cour du Belvédère où attendait le service de sante du Vatican avec le docteur Renato Buzzonetti, le médecin personnel du Saint-Père. Ils ont pris le Pape de mes bras et l’on déposé par terre dans le couloir du bâtiment. Seulement à ce moment là nous avons aperçu l’énorme hémorragie de la blessure de balle. Buzzonetti a plié les genoux du pape en lui demandant s’il pouvait les bouger. Il les a bougés. Le médecin a ordonné de se rendre immédiatement à la clinique Gemelli. La clinique n’a pas été choisie par hasard, c’était prévu dans le protocole d’urgence en cas de nécessité d’hospitalisation du pape. L’ambulance qui venait de rejoindre le poste de soins est repartie à vive allure. Ainsi a commencé la désespérée course contre le temps sur la rue Viale delle Medaglie d’Oro. Le gyrophare était en panne et le chauffeur klaxonnait sans cesse au plein milieu de l’embouteillage.
Le cardinal Stanisław Dziwisz – « Le témoignage »
Traduit du polonais par Czesław Noster