Avant d’avoir mes vingt et un ans

Je dois dire que le 18 mai 1920 à neuf heures du matin, je n’étais pas encore né. On m’a dit plus tard que j’étais né entre cinq et six heures de l’après-midi. À peu près au même moment, entre cinq et six heures de l’après-midi mais cinquante-huit ans plus tard à peine, j’ai été élu pape. (…).

Je suis né au moment où les bolcheviks s’apprêtaient à entrer dans Varsovie. La Pologne était très vulnérable. J’ai été baptisé, on m’a donné le prénom Karol  que je porte avec moi toute ma vie … Quand je regarde en arrière, je vois le chemin de ma vie qui me conduit, à travers l’environnement, à travers la paroisse, à travers ma famille, à un seul endroit: aux fonts baptismaux de l’église paroissiale de Wadowice. C’est à cet endroit que, le 20 juin 1920 j’ai été accepté dans la grâce de la filiation de Dieu et dans la foi de mon Rédempteur, dans la communauté de son Église. En  me donnant ce prénom, mes parents  voulaient me confier à la protection de saint Charles Borromée (…).

Tout cela me rappelle ma vie: le jour du baptême et le jour de la Première Communion, dont je garde toujours mes photographies. Ce sont des moments historiques dans la vie de chacun de nous. Chacun de nous a une histoire. En visionnant ces photos des années plus tard, la mémoire de ces moments reprend vie, elle renvoie à la pureté et à la joie éprouvée à la rencontre de Jésus qui  est devenu par amour le rédempteur de l’homme. La Première Communion est une rencontre inoubliable avec Seigneur Jésus et sans aucun doute l’un des plus beaux jours de la vie. Je me souviens encore du jour où  j’ai reçu,  parmi mes pairs, l’Eucharistie pour la première fois dans mon église paroissiale.

Mon enfance a été vite marquée par la perte de mes êtres chers. D’abord ma mère qui n’a pas vécu assez pour voir ma Première Communion (…). Si je vis dans ce monde, c’est parce que c’est elle qui m’a donné cette vie. J’ai perdu ma mère à l’âge de neuf ans et c’est pourquoi je m’en souviens moins. Après sa mort, puis après la mort de mon grand frère, nous sommes restés à deux, moi et mon Père.   Elle voulait avoir deux fils: un médecin et un prêtre. Mon frère était médecin et je suis devenu prêtre après tout. Je n’ai pas connu ma sœur qui est née quelques années avant ma naissance, elle est décédée peu de temps après être née.Mon frère Edmund, jeune médecin est décédé au début de son indépendance professionnelle. Il était infecté par une scarlatine aiguë. A l’époque, en 1932, en l’absence d’antibiotiques, il s’agissait d’une infection mortelle. Ce sont des événements qui sont profondément gravés dans ma mémoire. Je suis devenu donc assez rapidement  semi-orphelin et «enfant unique». Mon adolescence  a été liée avant tout à la figure du Père, dont la vie spirituelle s’est encore approfondie, après la  perte de sa femme et de son fils aîné. J’ai observé de près sa vie, j’ai vu comment il était exigeant envers lui-même, je l’ai vu s’agenouiller pour prier. C’était la chose la plus importante à l’époque qui marque l’adolescence d’un jeune. Un père qui savait exiger de lui-même, n’avait plus besoin de demander à son fils. J’ai appris en le regardant qu’il faut se fixer les exigences soi-même et être assidu dans l’accomplissement de ses propres devoirs.Ce Père que je considère comme un homme extraordinaire, est décédé – presque soudainement – pendant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation, avant mes vingt et un ans. Jean-Paul II. Autobiographie.

Edition Wydawnictwo Literackie, 2005